Au Niger, plus qu’un geste quotidien, cuisiner est un rituel profondément enraciné dans la culture. Au-delà du goût et des saveurs, le choix du combustible en dit long sur les transformations économiques et sociales du pays. L’utilisation diversifiée du bois, du charbon ou du gaz démontre bien que les Nigériens sont en quête d’équilibre entre leurs traditions culinaires et les impératifs d’un avenir plus durable.
Au Niger, le bois reste le combustible de cuisson principal utilisé par plus de 86 % des ménages, selon le bilan énergétique 2020 de la Commission africaine de l’énergie (AFREC).
Dans la ville de Niamey comme dans les villages les plus reculés, la fumée du bois qui crépite sur les foyers à trois pierres fait partie du décor quotidien. Du mil pilé au riz au gras, en passant par les sauces au gombo ou aux feuilles, la plupart des plats sont encore préparés au feu de bois. « C’est avec le bois que la nourriture a le meilleur goût », confie Hadiza, vendeuse de beignets au quartier Boukoki. « Même quand j’ai le gaz, je préfère le bois pour certaines préparations. »
Cette perception, largement partagée, explique la persistance de cette pratique. Le feu de bois est jugé plus puissant, plus stable et mieux adapté aux grandes marmites familiales. Mais au-delà de la technique, il symbolise la convivialité et la transmission des savoirs culinaires, au cœur du foyer. C’est là que l’on apprend à la jeune fille la plupart des astuces culinaires et qu’on s’ouvre à plein cœur dans les discussions. Le bois de chauffe demeure également une solution économique pour de nombreux ménages. Dans les zones rurales, il est souvent ramassé gratuitement.
Le charbon, l’équilibre entre praticité et tradition
Entre le bois et le gaz, le charbon de bois occupe une place intermédiaire. Plus compact, plus facile à stocker et à transporter, il est particulièrement prisé dans les villes. Le charbon incarne la cuisine de rue, rapide et conviviale. Il symbolise aussi l’esprit d’ingéniosité des Nigériens, capables d’adapter la tradition à la vie moderne. Mais cette commodité a un revers. Sa production repose sur la carbonisation du bois, ce qui accentue la déforestation. Malgré les campagnes de sensibilisation, son usage reste profondément ancré, notamment pendant les fêtes et les cérémonies.

Le commandant Souleymane, agent forestier, explique à nos confrères du journal Le Sahel le processus de fabrication du charbon de bois. En rappel du décret N°191/PRN/MMP/DD du 16 mars 2018 déterminant les modalités d’application de la loi 2004-040 du 8 juin 2004 portant régime forestier au Niger, à son article 118, la fabrication du charbon de bois est interdite sur toute l’étendue du territoire nigérien, sauf dans le cas de l’espèce “Prosopis”, où le gouverneur de la région concernée peut, après avis du ministre en charge des ressources forestières, l’autoriser pour une durée bien déterminée. Ce qui fait que le marché nigérien est alimenté par le charbon de bois en provenance du Bénin et du Nigeria. « L’usage du charbon de bois est une menace pour la forêt, du moment où une tonne de charbon de bois équivaut à sept tonnes de bois, surtout que depuis que l’usage du charbon est ancré dans la mentalité des Nigériens… », affirme le commandant Souleymane avant de souligner que « l’impact de cette pratique est énorme sur l’environnement dans un pays comme le nôtre où les trois quarts du territoire sont désertiques… »
Le gaz, entre confort et symbole de modernité
Avec l’urbanisation croissante, le gaz domestique s’impose peu à peu dans les foyers nigériens. Propre, rapide et pratique, il représente une modernité accessible aux classes moyennes des grandes villes. « Le gaz, c’est le confort », explique Hamssatou, employée de bureau à Niamey. « Quand on rentre tard, on peut préparer vite fait le dîner sans fumée ni saleté. Mais pour les grandes occasions, on revient toujours au feu de bois ou au charbon. »
Malgré ses avantages, le gaz reste encore perçu comme une énergie “de luxe”. Le prix des bouteilles, les difficultés d’approvisionnement et l’attachement aux méthodes traditionnelles limitent sa généralisation.
La fête de Tabaski, ou Aïd el-Kébir, illustre mieux que tout le lien entre combustion, culture et convivialité. À cette occasion, chaque foyer nigérien allume son feu : les rues se remplissent de fumée, de rires et d’odeurs de viande grillée. Le bois et le charbon règnent alors en maîtres. Les familles s’affairent autour des foyers pour rôtir le mouton sacrifié, cuire les mets festifs et partager le repas avec les voisins. Au-delà de la cuisson, le feu symbolise la chaleur humaine, la générosité et le lien communautaire. Il devient le cœur battant de la fête, rappelant que, malgré les évolutions, le feu traditionnel reste une source d’unité.

Si le bois, le charbon et le gaz cohabitent aujourd’hui dans les foyers nigériens, leur usage soulève des questions cruciales. Le bois-énergie est responsable d’une grande partie de la déforestation du pays. Le charbon, lui, accentue cette pression sur les forêts. Le gaz offre une alternative plus propre, mais reste peu accessible à tous. Des initiatives locales tentent d’apporter des solutions : foyers améliorés à haut rendement, briquettes écologiques à base de déchets agricoles, campagnes de reboisement et sensibilisation à l’usage durable du bois.
Mais au-delà de la technique, le véritable défi est culturel. Le feu n’est pas qu’un outil, il fait partie de l’identité.
Fatouma Akiné pour Niameyinfo.

