Seulement deux(2) semaines après des élections locales, les quelque 7,5 millions d’électeurs nigériens sur 23 millions d’habitants sont massivement sortis pour élire leur parlement et choisir un nouveau président parmi les 28 candidats. Les votes ont été effectués le dimanche 27 décembre 2020, pour une élection présidentielle qui doit marquer la première transition démocratique entre deux présidents élus au Niger. Les 26 000 bureaux de vote ont ouvert aux alentours de 8h avec un léger retard et une trentaine de candidats sont en lice pour succéder à Mahamadou Issoufou. Les premières estimations sont attendues ce lundi 28 décembre 2020, et les résultats ne seront pas connus avant plusieurs jours. Si nécessaire, un second tour de la présidentielle est prévu le 20 février.
Pour la première fois de son histoire qui a été marquée par plusieurs coups d’Etat depuis son indépendance en 1960, le Niger s’apprête à voir un président succéder à un autre de manière pacifique. Cela en grande partie est dû au fait que Issoufou Mahamadou, ne se représente pas à la sortie de ses deux mandats constitutionnels, contrairement à de nombreux chefs d’Etats africains qui s’accrochent au pouvoir. « Quel que soit le vainqueur, la victoire appartiendra au peuple nigérien. C’est un jour spécial pour le Niger qui va connaitre pour la première fois de son histoire une alternance démocratique », a souligné Mahamadou Issoufou après avoir voté à l’Hôtel de Ville de Niamey.
« Les opérations de votes se déroulent normalement », telle a été la réponse unanime des électeurs, des présidents des bureaux de votes et des délégués des partis politiques en compétition. Leila Hassane une électrice inscrite dans le bureau de vote N°242 logé dans le CEG 22 de Talladjé, a effectué son vote, « tout se passe bien sans aucun problème et dans le calme. Je viens de faire mon vote sans problème, tout le monde peut le faire, seulement c’est un peu lent. Les mesures de sécurité et sanitaires sont respectées, la preuve est que, je porte ma bavette » témoigne-t-elle. Tout comme Abdouramane Idrissa, président du bureau de vote il ne voit « aucune perturbation ni manquement dans le déroulement des scrutins ». Les missions d’observation déployées dans le pays y sont également allés de leur satisfecit quant au déroulé du double scrutin tout en relevant quelques dysfonctionnements.
La particularité de ce scrutin est que tout le matériel de vote a passé la nuit dans les centres, bien gardé par des éléments de la garde nationale. Aussi, le bulletin de vote devient unique. « Tous les candidats figurent sur une même feuille, sur laquelle est apposée leur photo et le logo de leur formation politique. Les votants doivent choisir la case correspondante. Le scrutin présidentiel est couplé à des législatives pour élire les 166 nouveaux députés qui composeront l’Assemblée nationale. Les cinq représentants de la diaspora seront choisis ultérieurement ». Khadija Moussa affirme avoir remarqué « beaucoup de différence avec les années passées parce que cette année quand tu viens, tu montres ta carte d’électeur, il regarde ton nom et puis tu es autorisé à voter ».
Achats de vote constatés dans certaines localités
Cependant à certains endroits, les opérations de vote ont commencé avec un léger retard dû au fait des délégués de certains partis en compétition qui ne sont pas venus à temps. En effet, Ousseini Ababoucar, superviseur au niveau du Centre du CEG 22 de Talladjé, témoigne « nous avons trouvé tous le matériel sur place, sauf les PV. C’est ce qui fait qu’on a commencé les votes à 8h30mn, après assurance nous a donné la présidente de la CENI de la commune 4 qui va faire parvenir les PV avant la fermeture prévue à 18h ».
Outre ces légers retards, certaines irrégularités ont pu être constatées par des observateurs nationaux et internationaux qui ont été déployés pour le vote. L’Observatoire du processus électoral (OPELE) qui regroupe des organisations de la société civile nigérienne, révèle « toutefois quelques irrégularités telles que le manque de matériel électoral dans certains bureaux, notamment dans la capitale ». L’Observatoire évoque aussi des cas « d’achat de conscience dans plusieurs régions, notamment des échanges de vote contre des vivres ou de l’argent ».
Dans un bureau, sous anonymat, des électeurs font part de « l’achat de consciences. Après avoir voté, tu appelles un numéro. Tu dois jurer sur le Coran que tu as voté pour (nom du parti en question) et on te fait un transfert de 1.000 F CFA »
Au sein de l’école Flot Germa, une petite querelle au bureau 211, a pu être observée. Par ailleurs, des électeurs se sont plaints parce que « l’encre nécessaire pour voter, pour faire son choix sur le bulletin unique, n’était pas disponible ». Le personnel du bureau a indiqué avoir signalé le problème à la CENI, depuis la matinée, mais ne pas avoir eu de retour. « Faute de mieux, les personnes du bureau ont décidé de faire voter les électeurs avec un stylo. Les délégués politiques présents ont donné leur accord ».
Selon Dambagi Son Allah, porte-parole de la Mission d’observation électorale de la Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Niger (MOE-COCEN) qui a déployé 160 observateurs de long terme et 750 observateurs de court terme sur l’ensemble des régions du pays, des manquements ont été notés. « Dans certains bureaux notamment la non vérification de la trace d’encre indélébile sur les doigts des électeurs, l’absence de contrôle sur l’introduction des bulletins dans les urnes, le non émargement des listes électorales et 3 cas de vote de mineurs à Niamey et Maradi. Dans la quasi-totalité des bureaux couverts, le matériel électoral était disponible en quantité même si des cas de rupture d’encre ont été signalés à Niamey. La disposition des isoloirs dans certains bureaux ne permettait pas de garantir le secret du vote ainsi que des attroupements de nature à influencer les électeurs ». Les équipes ont noté la présence des forces de sécurité et a noté que « dans l’ensemble, elles ont une attitude professionnelle ». Toutefois, a relevé la mission, « elles ne sont pas intervenues contre les attroupements de nature à influencer les électeurs ou susceptibles d’attenter à la liberté de vote ».
Les équipes déployées ont aussi rapportés des incidents majeurs, 21 au total à 16H00 et qui sont repartis dans au moins 5 régions du pays. Il s’agit de violence verbale, d’affrontements entre groupes ou militants de partis politiques, d’accrochage dans les bureaux de vote ainsi que manifestations aux abords de certains bureaux. « Ces incidents ont entrainé l’interruption des opérations de vote pendant de nombreuses minutes », a souligné la mission qui précise que « ces incidents ont été le fait des partis politiques dans 24% des cas, de représentants de la CENI dans 28% et des électeurs dans 24% des cas ».
Il est à noter aussi que ces élections se sont tenues alors qu’il y a quelques jours, les autorités ont annoncé « un renforcement des mesures de lutte contre le Covid-19. Les rassemblements sont interdits, les bars et les salles de spectacles sont également fermés pendant deux semaines, avec la possibilité d’un renforcement de ces mesures si besoin ». Au regard de la hausse des cas de coronavirus. La Commission électorale nationale indépendante explique que « elle dispose de certains kits sanitaires, que des spots existent et seront diffusés sur place pour inviter le public à respecter les mesures barrières dimanche dans les bureaux de vote » tout en affirmant « ne pas vouloir prendre le risque d’être un vecteur de maladies ».
L’insécurité, l’autre zone d’ombre
L’inquiétude des électeurs face à la menace djihadiste récurrente n’est pas restée en marge de ces élections. La CENI a, à cet effet rappelé que « sa mission est de garantir le droit de tout citoyen à voter, sur toute l’étendue du territoire, et assure avoir pris des mesures pour sécuriser le scrutin ». Son président, Issaka Souna, reconnaît que « le Niger vit une situation sécuritaire difficile, notamment dans des zones situées aux frontières, dans les régions de Tillabéri, entre Tahoua et le Mali, ou encore dans la zone du lac Tchad. Nous savons que le risque zéro n’existe pas. Toutes les forces de sécurité sont mobilisées et que des dispositifs préventifs et d’action existent, pour assurer la sécurité des personnes, des biens et du matériel ».
Contrairement aux élections locales où les forces de l’ordre n’étaient pas visibles dans de nombreux bureaux de vote, les équipes de la COCEN soulignent que pour ce scrutin « la présence des forces de sécurité a été constatée devant 96% des centres de vote couverts. Aucun incident sécuritaire n’a été observé ou porté à notre attention ».
Une heure avant la fin du scrutin, les électeurs sont restés présents dans les bureaux de vote où dans la plupart des cas il n’y avait pas d’électricité. Tous impatients à connaitre les résultats qui prendront quelques jours avant d’être délivrés.
Selon de nombreux pronostics, Mohamed Bazoum désigné par le président sortant Issoufou Mahamadou, fait figure de grand favori de ce scrutin, et espère « un coup, KO », autrement dit une victoire dès le premier tour. Pour rappel, depuis 1993, la présidentielle nigérienne s’est toujours jouée en deux tours. Et l’opposition politique y joue un rôle traditionnellement fort.
Pour l’ancien ministre des Affaires étrangère Ibrahim Yacouba « une élection à un seul tour n’est pas possible. Ils (les gens du pouvoir) savent très bien que l’état de santé de leur parti et le niveau de frustration des nigériens empêchent toute perspective de faire un coup KO. Il y aura un second tour le 20 février 2021 » tout en ajoutant que « cette campagne a été massivement corrompue par l’argent du parti au pouvoir. Je suis très préoccupé parce que ce processus corrompu peut impacter les résultats et entamer l’honnêteté du scrutin ».
Selon Issaka Soumana, chauffeur routier, 52 ans, « Le Niger ne va pas, notre pays doit émerger, ça doit changer », tout en montrant son pouce taché d’encre « preuve qu’il a déjà voté ».
Un autre temoin souligne « l’absence de renouvellement de la classe politique. Deux anciens présidents, Mahamane Ousmane et Salou Djibo, deux anciens Premiers ministres, Seini Oumarou et Albadé Abouba, et sept ex-ministres figurent parmi les candidats, pour une moyenne d’âge de plus de 60 ans, dans un pays où elle se situe autour de 16 ans ». En attendant le renouvellement de sa classe politique, le Niger peut déjà se targuer d’avoir organisé ses premières élections sans heurts majeurs qui conduiront à sa première alternance pacifique du pays depuis son indépendance en 1960.
Akiné Fatouma pour niameyinfo.