Il a fait du cinéma une école de vie et un outil d’émancipation. Youssoufa Halidou Harouna, docteur en études cinématographiques et promoteur du Toukountchi Festival du Cinéma du Niger, est l’invité du jour de Niamey Info. Avec lui, nous parlons d’images, de jeunesse et d’avenir du cinéma nigérien entre passion, engagement et transmission.
Avant de se lancer dans l’entrevue, il est nécessaire de connaître le parcours exceptionnel de notre invité du jour. Natif de Niamey, plus précisément des quartiers de Goudel et de Maourey, Youssoufa Halidou Harouna est un passionné de cinéma et un fervent promoteur de la culture cinématographique au Niger. Titulaire d’un doctorat en études cinématographiques de l’Université Abdou Moumouni de Niamey, il a bénéficié d’une bourse d’excellence de l’ambassade de France après avoir obtenu un Master 1 en Audiovisuel et Documentaire de Création à l’IFTIC et à l’UAM en 2010, où il fut major de sa promotion. En 2011, il poursuit un Master de Recherche en Cinéma, Audiovisuel et Approches interculturelles du cinéma à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux, en France.
À son retour au pays, animé par la volonté de promouvoir le cinéma et de former un public jeune à la lecture critique de l’image, il cofonde avec des amis l’Association Nigérienne des Ciné-Clubs et Critiques de Cinéma (ANCCCC). L’organisation met en place plusieurs ciné-clubs dans les établissements scolaires et universitaires de Niamey (Mariama, Korombé, CLAV, Sonia, Kassaï, Université de Dosso, INJS…), contribuant ainsi à développer la culture cinématographique chez les jeunes.
Titulaire également d’une licence en journalisme (option presse écrite), Youssoufa Halidou Harouna signe de nombreuses critiques de films dans la presse nationale et internationale. Son expertise l’a conduit à présider la Semaine de la Critique du FESPACO 2025, le plus grand festival de cinéma d’Afrique.
Auteur de l’ouvrage Panorama du cinéma nigérien, paru en 2023 aux éditions L’Harmattan France, il est reconnu pour ses contributions intellectuelles et critiques dans plusieurs médias et revues spécialisées, dont Africine.org (site de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique), AWOTELE, Le Sahel, et mediaculture.info.
Membre actif du paysage cinématographique africain et international, il a siégé comme juré et électeur dans de nombreux festivals prestigieux, notamment les Golden Globe Awards aux États-Unis et le Festival International du Cinéma Africain de Khouribga (FICAK) au Maroc.
Youssoufa Halidou Harouna est également Secrétaire général de la Fédération Panafricaine des Ciné-Clubs, Secrétaire général adjoint de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC), membre de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique (FIPRESCI) et Secrétaire général de la Fédération Nationale du Cinéma et de l’Audiovisuel du Niger (FENACAN).
En parallèle, il est promoteur du Toukountchi Festival du Cinéma du Niger depuis 2016, de la Semaine de la Critique Cinématographique du Niger, ainsi que du Centre Indépendant de Recherche en Cinéma et Audiovisuel (C.I.R.C.A), fondé en 2021.
Son parcours, marqué par la rigueur académique, la passion et le dévouement, fait de lui une figure incontournable du cinéma nigérien et africain contemporain.
Niamey Info : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans le domaine culturel ?
Youssoufa Halidou Harouna : C’est une suite logique de mon parcours académique en études cinématographiques et audiovisuelles, qui m’a conduit à mettre en place des actions de bénévolat pour contribuer et participer activement à donner une culture cinématographique aux Nigériens, en particulier les plus jeunes, pour faire face à toutes les images qui inondent nos médias audiovisuels et influencent le plus souvent les cultures locales.
Aussi, connaissant la place du cinéma nigérien en Afrique avec les pionniers, dont les œuvres et actions continuent de marquer les esprits des cinéphiles, il est de mon devoir, étant l’un des premiers jeunes docteurs en études cinématographiques au Niger, de vivifier notre patrimoine cinématographique à travers nos actions de formation aux métiers du cinéma, les festivals, les colloques et conférences, etc.
N.I : À quel moment avez-vous senti que la culture pouvait être un levier pour les jeunes ?
Y.H.H : Très jeune, je m’affirmais à travers mon identité culturelle à l’école, dans les cérémonies à travers mes tenues, mon nom, ma langue. Et, lorsque je regardais les films tels que Le Wazzou polygame, Saitane d’Oumarou Ganda, Toula ou le génie des eaux, Samba le Grand ou même Kokowa de Moustapha Alassane, je me retrouvais, car je voyais une transposition des réalités de mon environnement.
À chaque événement ou occasion, mes camarades de quartier et d’autres personnes n’hésitent pas à vivifier cette culture dans le quartier, qui devient un levier d’appartenance et de fierté nationale.
N.I : Actuellement, quels sont les projets sur lesquels vous êtes ?
Y.H.H : Aujourd’hui, je suis sur plusieurs projets cinématographiques d’intérêt collectif qui puissent profiter à mes semblables. Avec cet appel patriotique des autorités actuelles, ces projets serviraient à déconstruire les clichés sur nos cultures et à mettre l’homme nigérien au cœur du développement mondial par son regard critique et son engagement patriotique.
N.I : Quels sont les objectifs principaux de cette initiative ?
Y.H.H : Il s’agit, dans un premier temps, de montrer la portée du cinéma dans l’éveil des consciences en créant des ciné-clubs dans chaque établissement scolaire au Niger pour initier les élèves à la lecture de films pour une consommation responsable de l’image, et, dans un second temps, de faire du cinéma une matière à enseigner du primaire au secondaire, comme la LOSEN (Loi d’Orientation du Système Éducatif Nigérien) l’a prévu à ses articles 24 et 25, lorsqu’elle évoque les métiers artistiques à enseigner.
N.I : Comment avez-vous mobilisé d’autres jeunes autour de vos projets ?
Y.H.H : Dès la création de l’association, l’engouement pour les ciné-clubs était au rendez-vous chez les scolaires, les enseignants et les responsables scolaires. Cette démarche sortait du cadre formel de l’enseignement auprès des élèves, qui participent rarement à des projections de films avec débats, le plus souvent devant les réalisateurs des films. Des rencontres cinématographiques qui ne sont pas sanctionnées par des notes de classe, mais qui participent à la culture générale des élèves.
En plus, l’occasion est pour nous d’initier les élèves au langage cinématographique, ce qui les attire à adhérer davantage à ce projet qui allie distraction et connaissances.
N.I : Quelles valeurs culturelles ou traditions souhaitez-vous mettre en avant à travers votre action ?
Y.H.H : À travers les actions de formation aux métiers du cinéma, de projections-débats, d’initiation au langage cinématographique, l’accent est mis sur l’histoire des communautés à travers les identités, leur organisation sociale, les rites, les savoirs locaux, les dynamiques sociales et surtout l’intérêt de les préserver et de les promouvoir. Au Niger, avec cette riche diversité culturelle, on a beaucoup à donner et à faire découvrir aux jeunes, qui, d’ailleurs, n’arrivent pas à lire les codes derrière chaque image.
N.I : Quelles difficultés avez-vous rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
Y.H.H : Ma passion et mon engagement à faire de mon métier et de mes actions des opportunités et une expertise nationale me font minimiser les difficultés. Tout projet engagé par l’association est conduit jusqu’à son terme.
N.I : Bénéficiez-vous d’un soutien des autorités ou d’organisations locales/internationales ?
Y.H.H : Oui, en fonction des projets de l’association (festival, formations, projections…), les autorités de tutelle peuvent accompagner certaines rubriques. On arrive aussi à avoir des accompagnements de certaines ambassades au Niger et de certaines bonnes volontés.
N.I : Comment intégrez-vous les technologies ou les réseaux sociaux dans vos actions ?
Y.H.H : Aujourd’hui, aucun projet social ne peut vivre sans faire appel aux technologies de l’information et de la communication. Les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, site web, médias en ligne…) sont nos premiers partenaires. On y a facilement accès, à moindre coût et très proches des cibles. Il suffirait juste d’avoir un téléphone, le message à communiquer et une connexion Internet pour capter l’attention du public au niveau national comme international.
N.I : Pensez-vous que la culture peut contribuer au développement socio-économique du pays ?
Y.H.H : Bien sûr, la culture, si elle est bien encadrée, peut contribuer au PIB d’une nation. Nous avons l’exemple de l’industrie cinématographique américaine, qui contribue à la création de milliers d’emplois et à plus de 10 % du PIB des États-Unis.
N.I : Que faudrait-il faire, selon vous, pour renforcer l’engagement des jeunes dans la culture ?
Y.H.H : Il faut déjà que les autorités repensent leur vision de la culture. Pour la plupart, la culture en général et le cinéma en particulier sont considérés comme un passe-temps, donc pas un métier au même titre que les métiers classiques (juriste, comptable, médecin, enseignant, etc.). Pourtant, on peut faire un doctorat dans les métiers de la culture et s’épanouir pleinement. Je donne mon cas. Pour rappel, le cinéma peut contribuer à résorber le chômage parce qu’en son sein on trouve plusieurs branches de métiers professionnels (production, réalisation, actorat, montage, exploitation, distribution, critique de cinéma…) qui peuvent participer au développement du pays. Mais, malheureusement, les autorités, dans leur ensemble, ont une connaissance limitée du cinéma et de ses avantages.
N.I : Quels conseils donneriez vous à d’autres jeunes qui souhaitent lancer un projet culturel ?
Y.H.H : Il faut avoir la passion pour la culture et se former pour faire face à tous les défis autour des projets culturels. Si on est bien formé, on peut monétiser ses compétences.
Fatouma Akiné pour Niameyinfo.